Lettre d’Yves, en tournée au Québec. à la Société des Poètes Français :

Montréal, 22 mars 2019

Chers Amis,

Lorsque la Société des Poètes Français m’a contacté par la plume (pas toujours vagabonde) de Véronique Flabat-Piot, j’ai été extrêmement honoré d’avoir été choisi pour recevoir le Grand Prix, et désolé que la date de la proclamation du Palmarès coïncide avec notre tournée de concerts au Québec, m’empêchant d’être présent parmi vous pour partager le bonheur de cette distinction.

Mais la famille est un lien sacré, je sais pouvoir compter sur une garde très rapprochée pour nous représenter Noëlle mon épouse, et moi aujourd’hui auprès de vous… J’ai demandé à mon frère (de sang comme de cœur) Roland, de deux ans mon ainé, que je n’ai jamais pu rattraper en âge depuis ma naissance, et à Jean, le Papa de Noëlle, jeune homme de 94 ans, esprit curieux, ouvert et passionné, mon passeur de lumière, qui ont accepté l’un comme l’autre d’être ce trait d’union entre nous par dessus l’Atlantique, je les en remercie de tout cœur.

Être lauréat du Grand Prix de la Société des Poètes Français est un honneur pour moi, mais aussi pour tous les miens, qui m’ont accompagné dans cette démarche de création comme une grande famille de cœur, inspirante et précieuse, enveloppé d’une solide bienveillance et d’un amour indéfectible. Je partage avec eux ce moment de reconnaissance qui nous unit plus que jamais.

Ce Grand Prix, créé par Sully Prudhomme et José Maria de Heredia, je le reçois comme une marque d’estime de la part du Comité. Marcher ainsi sur les pas de Victor Hugo peut seul donner une idée du privilège que représente à mes yeux la pose de ce jalon sur mon parcours. Il m’incite encore à davantage d’exigence dans l’écriture, et de responsabilité en terme de contenu. Le parrainage du Président de la République pour ce Prix lui confère aussi une valeur inestimable.

On n’imagine pas le pouvoir de résilience de la poésie. Elle est notre mémoire collective et nous parle au cœur. Mon Beau-père ici présent me cite souvent des vers de Louis Aragon, et m’invite à la découverte de ceux d’Alain Mabanckou. Je suis émerveillé d’entendre dans sa voix la beauté du rythme des mots, déjà presque porteurs de musique. Jacques Prévert, Boris Vian, François Villon ou Charles Baudelaire m’accompagnent souvent dans mes pensées. Les rejoindre dans votre Panthéon des poètes me touche infiniment. Aujourd’hui, la chanson a sans doute pris le relais des poésies, et c’est là qu’elle puise ses lettres de noblesse. Georges Brassens, en mettant en musique les vers de Victor Hugo ou de Paul Fort, m’a aidé à franchir ce pas. Félix Leclerc, Jean Ferrat et bien d’autres, m’ont tenu la main pour ajouter l’engagement à la sensibilité, en faisant d’une émotion un combat. La chanson est peut-être un art mineur, mais tendance mineur de fond.

La poésie est du domaine de l’indicible.

« Ce sont les choses qu’on ne dit pas

Parce que les mots

Les mots n’existent pas »

Pour faire une chanson, attrapez un courant d’air avec un filet à papillons. Mélangez-y quelques terrifiants pépins de la réalité. Egouttez la violence du propos pour en sublimer la douceur. Laissez s’évaporer l’amertume et n’hésitez pas à sécher un peu, le temps de vous relire, émincez quelques phrases pour écrire moins gras, accompagnez d’un peu de Grave, servez frais dans un vers de huit pieds, faites rimer le parfum de l’aventure avec la saveur de l’inattendu. Laissez bouillir d’impatience, faites revenir un sentiment d’inachevé, ajoutez un grain de folie, une pincée de sel de la vie, versez une larme de joie et décorez le tout d’un supplément d’âme.

Ce serait si simple s’il y avait une recette. Mais par bonheur, il n’y en a pas. Je sais désormais que la poésie n’est pas faite de jolis mots, mais de mots justes. Elle puise sa force dans le réel. C’est un espace de liberté sur paroles, dont la seule règle est de fendre la cuirasse, de tomber l’armure et de poser son cœur sur le papier. Je vous sais gré d’avoir pensé que je méritais ce regard, c’est pour moi la plus belle récompense qui soit. Et je voudrais la partager avec celle qui m’inspire ces mots qui vous ont touchés. Elle m’ouvre les portes de l’écriture, de la composition, de la création permanente. Son exigence, son amour et sa bienveillance mêlés me font toujours rêver plus haut, rêver plus beau. Elle fait de notre vie une œuvre d’art. Je n’ai plus qu’à tremper ma plume dans le flot continu de nos émotions partagées. C’est ma Noëlle. Je lui dois ce moment que vous nous offrez aujourd’hui de vivre ensemble.

Vous savez qui tenait la plume,

Je savais qui tenait ma main.

Enfin, depuis la Belle Province qui nous accueille sur l’autre rive de l’Atlantique, je voudrais remercier ici la langue française. Elle nous offre ses mots d’une beauté incomparable, son histoire incommensurable et cette complicité que partagent ses quelques 300 millions d’amoureux dans le monde. Dans cet univers numérique avec lequel nous devrons compter désormais, elle est, et sera de plus en plus notre empreinte digitale, notre identifiant et notre mot de passe.

« C’est une langue belle à qui sait la défendre

Elle offre les trésors de richesses infinies

Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre

Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie

Et de l’Île d’Orléans jusqu’à la Contrescarpe

En écoutant chanter les gens de ce pays

On dirait que le vent s’est pris dans une harpe

Et qu’il a composé toute une symphonie »

Je vous remercie du fond du cœur et vous adresse à tous ma gratitude, mon émotion et mon amitié,

Yves Duteil

 

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