Jean Dufour nous a quittés Dimanche. Il a été l’un des agents artistiques les plus respectés dans le monde du spectacle. Sa route a croisé celle des plus grands. Voir l’article de Norbert Gabriel sur son Blog “Nos Enchanteurs”… “Jean Dufour, Un ouvrier dans la coulisse” (2012)
Son départ nous a bouleversés Noëlle et moi. Il fut mon agent pendant de nombreuses années. Il faut souligner l’intensité de son inlassable engagement en faveur de la Chanson française, et témoigner de la lumière qu’il dégageait autour de lui. Sa discrétion naturelle pourrait laisser passer son départ pour un dernier salut à la scène, mais il laisse aussi au coeur de nous un sillage d’affection et d’estime. C’était un être délicat, au regard affûté et bienveillant. Ces quelques mots  sont pour lui, pour les siens, et pour tous ceux qui le pleurent aujourd’hui…

Yves

 

Bergerac, jeudi 29 juin 2017,

Mon cher Jean,

Je t’écris aujourd’hui, mais heureusement ce n’est pas ma voix qui porte ces mots, elle s’étranglerait de chagrin. Depuis l’annonce de ton départ, nous sommes orphelins Noëlle et moi, de ta bienveillante existence. Ceux qui ont eu la chance de t’avoir pour agent savent combien tu as enchanté leurs carrières par ton talent, et par l’inlassable énergie déployée pour défendre et promouvoir la chanson française. Mais au-delà de toute cette estime, aujourd’hui, nous pleurons un ami.

Tu es passé de l’autre côté, derrière ce lourd rideau qui sépare les coulisses du public, et dont tu avais retrouvé le nom ancien, « la Gardine ». La scène a toujours été ta passion. Agent artistique de légende, malgré le temps et la distance, les gens de ce métier prononcent toujours ton nom avec respect. Tu as porté beaucoup d’artistes de l’ombre à la lumière, avec ferveur et exigence. Tu étais, entre autres, l’agent pour la France de Félix Leclerc, et tu avais organisé pour lui une tournée des grandes villes où de nombreux théâtres devaient l’accueillir. Mais Félix est tombé malade et n’a pu assurer ces concerts. Tu venais de découvrir mon tout premier spectacle parisien au Théâtre de la Ville, et l’idée t’est venue de proposer à tous ces directeurs de me recevoir en lieu et place de Félix. Je te dois – sous le signe de Félix – ma première grande tournée.

L’amitié qui s’est allumée entre nous ne s’est plus jamais éteinte. Je buvais ta confiance, nous aimions Noëlle et moi la bienveillance de ton regard, une estime réciproque s’est installée à demeure entre nous. Le respect qui émanait de toi nous impressionnait, il y avait dans ta voix un bel accent qui sentait la vigne et le savoir vivre. C’était l’accent de la sincérité.

Tu m’as appris à regarder le public dès le début du spectacle, sans oublier personne, même sans voir quiconque dans l’éblouissement des projecteurs. Tu m’as appris à embrasser une salle du regard, à apprivoiser l’espace et à faire le silence.

Nos chemins entremêlés se sont tressés, de théâtres en Centres culturels, de confits en foies gras, sur fond de pommes rissolées à la graisse d’oie, jusqu’à l’auberge de Patrick Pagès ton ami Cévenol, devenu instantanément le nôtre pour des décennies de partage. Voilà… tu l’as rejoint dans les limbes,. De belles libations en perspective… C’est toi aussi qui nous a conduits face à la ville de Québec jusqu’à la demeure de Félix à l’Ile d’Orléans, où cette journée d’échanges avec lui en liberté sur paroles autour de la francophonie m’a inspiré la chanson « La langue de chez nous ». Vous étiez deux humanistes complices, et Sylvie nous couvait fidèlement du coin de son sourire.

On pourrait ainsi passer des heures à évoquer la richesse de ton amitié, à parler de toi comme d’un passeur de lumière, à raconter les épisodes inconnus de ces sentiers de traverse et de tendresse que nous avons défrichés ensemble au gré des chansons que ton cœur a portées avec force vers le public, un travail de spécialiste, une compétence reconnue par la profession toute entière. Respect. Tu as été un grand Agent, exigeant, précis comme une horloge, et pétri de culture, amoureux des terroirs et des êtres, animé par la foi du public, par le sens de la beauté et par le bonheur de l’émotion partagée, fasciné par la magie du spectacle.

Au crépuscule de ta carrière, tu es même reparti sur les routes en simple régisseur, préférant l’ombre des coulisses aux ors de la Capitale, et tu es revenu en Dordogne vers tes racines, pour cheminer au plus près de tes artistes. Tu nous as manqué en repartant, mais nos chemins n’ont cessé de se croiser. Le fil de cette amitié ne s’est jamais rompu. A présent tu nous manques pour de vrai. Nous verrons toujours ton regard bienveillant dans la pénombre de la Gardine. Juste avant d’entrer en scène, j’entends toujours le murmure de la salle à l’instant où la lumière s’éteint. Je sais aujourd’hui combien cette ombre nous protège, et qu’il n’y a pas d’ombre sans une source de lumière. Tu nous as donné le meilleur mon Jean, tu mérites à présent de goûter la paix que tu as tant cherchée, tant couvée pour les autres, et si peu vécue pour toi-même.

Ton destin aura été celui d’un navire en pleine tempête, et si les déferlantes ont fini par vaincre ta force, elles n’ont jamais modifié ton cap. Le Cap de Bonne Espérance.

Ceux qui t’aiment, ta famille, tes enfants ne te quittent pas. Ils savent que tu vas pouvoir organiser dans les nues le plus beau des spectacles avec tous les artistes que tu as aidés à monter au firmament des étoiles, et qui t’ont précédé là-haut.

Félix écrivait «  Quand un arbre tombe, il laisse deux trous, le plus grand dans le ciel. »

Adieu, cher Jean, et merci, merci, merci…

Infiniment Merci.

Yves Duteil

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