La Grange, c’est la pièce de musique à la maison. Depuis toujours, nous y répétons les chansons, et j’y ai composé nombre d’entre elles… C’est ici que nous allons travailler avec celui qui a été pressenti pour la mise en scène de notre spectacle au Dejazet. Néry arrive chez nous sur un drôle de petit vélo pliable… Dans les années 80/90, son groupe, Les VRP chantaient en scène une version gentiment déjantée, ” Le Petit pont de bois de la Rivière Kwaï”, où les bombardiers en piqué faisaient un sort au petit pont de la chanson… A cette époque, la dérision battait son plein, et sollicité par le groupe pour donner mon accord sur le principe de l’enregistrement de cette version “explosive”, dans un sursaut d’amour propre j’avais refusé que l’on jette cette pierre supplémentaire dans mon jardin : la cour en était pleine… Le chanteur du groupe, c’était lui. Néry… Trente ans plus tard, pour moi il y avait prescription, et s’il acceptait le contact, c’est qu’il avait fait aussi du chemin de son côté…
Voici ce qu’en dit Néry (La Croix, 16 mai 2008) :
CONTREPOINT >>> Néry Catineau dit Néry, auteur, chanteur, réalisateur et metteur en scène
« Loin des apparences médiatiques, le Duteil d’aujourd’hui »
«Coup de téléphone en 2008 de Danièle Molko, de la société Abacaba, pour qui j’avais déjà signé quelques mises en scène : « Nous nous occupons d’un artiste et nous sommes persuadées que c’est avec toi qu’il doit travailler !… Voilà, il s’agit d’Yves Duteil… » Silence au téléphone, puis je réponds : « Vous savez que nous avons eu des différends avec lui ? (Yves Duteil avait refusé une reprise de sa chanson Le Petit Pont de bois par les VRP de Néry) »… « Oui, et lui sait très bien qui tu es ! »… «Bon, je demande aux autres (les VRP) et je vous tiens au courant. » Tout le monde m’a dit : « Fais-le ! » et j’ai rencontré Yves chez lui à Précy-sur-Marne.
C’est dans la tranquillité de sa maison et loin des apparences médiatiques que m’est apparue la première clé du travail que nous envisagions de mener. L’homme est simple, direct, mélangeant réserve vis-à-vis de lui et engouement pour les choses de la vie. Il a une belle voix grave, un regard franc et attrape sa guitare comme on attrape un outil de jardinage. Le pari m’intéressait encore plus car il fallait faire simple et efficace. J’ai tout de suite dit à Yves que je comptais m’appuyer sur deux éléments importants pour travailler ensemble : le premier étant le préjugé sur l’homme public que je n’étais pas le seul à avoir et ensuite, la première impression de lui en le rencontrant dans l’intimité de sa maison. J’aurais ainsi la possibilité de tailler dans tout ce qu’il pourrait me renvoyer de gênant en scène pour ne garder que l’efficacité des mots (dont je découvrais la force en plongeant dedans) placés dans une voix simple, directe et précise. Je souhaite sincèrement que des personnes qui ont les mêmes préjugés que ceux que j’ai pu avoir auparavant trouvent l’occasion de découvrir l’Yves Duteil d’aujourd’hui et l’homme simple qu’il peut être. Le préjugé est une version simpliste de l’assurance de soi, et si l’on accepte de mettre ses passions et ses certitudes dans le pot commun de ceux qui nous entourent, alors je crois qu’il en ressort de l’or et de vraies valeurs humaines.” (Propos recueillis par Robert Migliorini)
Nous voilà face à face. Après quelques mots pour évoquer cet épisode dans un sourire, nous sommes passés à la suite de l’aventure, et je me suis lancé. J’ai chanté à Néry les douze chansons de l’album”(fr)agiles”, guitare-voix, piano-voix, “nature”, sans micro ni haut-parleurs. Entre pudeur et timidité de part et d’autre, les échanges étaient intéressants, mais difficiles à décrypter sur le fond. Nous nous sommes apprivoisés peu à peu. Il écoutait, surtout. Mais le fil était noué. Quand il a repris son vélo, je ne savais pas encore que cette rencontre allait se poursuivre par une collaboration passionnante. Nous nous sommes parlé, au téléphone, et la première répétition a été programmée avec Gilles et Angelo, . Nous nous sommes retrouvés, dans la Grange, à nouveau, mais tous les quatre, avec un invité supplémentaire, observateur discret et silencieux, qui cherchait déjà ses couleurs pour les lumières du spectacle, Julien Bony. L’équipe est au complet, avec Michel Colin au son et à la régie, depuis vingt ans…
Les idées fusent. Néry apporte son sourire malicieux, son regard poétique et ses suggestions fulgurantes. “Si on commençait “Virages” dans une tension, une ambiance presque cinématographique ?” Angelo réfléchit, puis plonge la tête dans le piano, et pince directement les cordes comme sur une harpe. le climat s’installe, je le rejoins à la la guitare, la main droite posée sur les cordes en étouffoir. Stress, on sent instantanément que c’est la nuit, la fatigue, un côté Nougaro, la petite fille en pleurs dans une ville en pluie… Je n’ai jamais entendu un son pareil.
Pour “Deux enfants du Tamil Nadu, Gilles propose une formule de basse qui évoque le tambour d’eau… Pas de mélodie, juste une intention rythmique qui glisse le long du manche comme une mélopée indienne. Incroyable et efficace.
Tout se passe ainsi, dans un jaillissement d’imprévus et de plaisir partagé. Mes chansons renaissent, revisitées par une mise en scène musicale nouvelle, fruit d’une confrontation d’univers parallèles qui se rejoignent en harmonie .Il nous reste à affiner nos choix, mais l’essentiel est là. Nous allons retravailler ensemble avec Gilles et Angelo. Fait rarissime, un journaliste a souhaité assister à à l’une de nos séances de peaufinage, Pascal Pioppi :
“Yves Duteil en répétition” (“La Marne” 1/10/08)
“Vieil habitué des concerts (dont le dernier d’Yves à l’Olympia) je me retrouve en pleine phase de fabrication à regarder cet assemblage méticuleux qui fera de cette broderie rapiécée une future oeuvre d’art scénique. Le langage me surprend. Les trois hommes se comprennent parfaitement juste par bribes de phrases : “La césure on la fait sur B1, il n’y a pas de B2…” Curieuse bataille navale des harmonies. (…) Entre ces trois musiciens qui travaillent pour la première fois ensemble, il y a juste une partition, mais aussi une égale répartition dans l’approche humaine, avec un recul, une tolérance, une écoute, une sensibilité qui ne peut déboucher que sur de l’intelligence. Tout ce qui peut rapprocher les hommes.” (Pascal Pioppi)
A suivre…
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