Nous voilà à nouveau sur la scène…Tout n’est pas gagné… Beaucoup de productions sont encore à l’arrêt, le virus circule toujours comme un rôdeur, et pas totalement démasqué… Renouer avec la musique dans l’éblouissement des projecteurs, remonter en funambule sur le fil du danger, retrouver la chaleur du public est un grand bonheur… Ces premiers concerts ressemblent à une renaissance. Vos messages après cette reprise reflètent le même sentiment. Vingt mois sans nous voir, un interminable entr’acte. On parle de “l’année dernière”. Mais non, c’était l’année d’avant. Une année blanche a traversé nos vies, comme l’empreinte d’un avion dans le ciel, dont la trace s’est diluée dans l’éther. Cette parenthèse inattendue aura montré l’importance qu’occupent l’échange et la rencontre dans nos vies. A force de distance, le télétravail s’est inscrit comme un recours, mais ses limites n’en sont pas moins vraies. Un concert ne peut se réduire à l’écran d’un smartphone, et aucun haut-parleur d’ordinateur ne pourra transmettre les vibrations musicales auxquelles nous travaillons pour les rendre fidèles à nos voix, nos instruments et nos harmonies. Le spectacle vivant a trouvé des itinéraires de déviations pour contourner les routes fermées des salles, des théâtres, des scènes et des tréteaux, mais seules, de grosses productions ont pu disposer des moyens de diffusion nécessaires pour proposer des concerts “en direct” et sans public à quelques dizaines de milliers d’internautes privilégiés, contre quelques euros de droit d’entrée… Ne nous y trompons pas, le vent de la technologie n’a jamais exigé autant de matériels pour “dématérialiser” nos musiques et nos données, et la création, qui n’est pas au bout de la chaîne, mais au tout début, n’a jamais été autant négligée qu’aujourd’hui. Songez qu’une chanson streamée un million de fois sur le net, génère pour ses créateurs la somme de 120 euros, à partager entre l’auteur, le compositeur et l’éditeur (source SACEM)… Le monde du spectacle, ce sont des dizaines de milliers d’artistes, de techniciens, de professionnels de haut niveau qui pendant plus d’un an et demi, ont été privés de publics, tandis que les plateformes pulvérisaient tous les records de profits, sans pour autant remettre en question ce partage avec ceux qui créent la matière même de tous ces échanges…
Pour tous les créateurs qui reprennent aujourd’hui avec passion le chemin des scènes après vingt mois de silence, sans autres revenus que les aides qui ne pourront jamais compenser leurs pertes, il est important aussi de ne pas risquer une nouvelle flambée de cette pandémie dont nous avons tous mesuré l’ampleur inédite et l’incommensurable cataclysme. Si pour certains, il s’agit de remettre d’urgence sur le métier la structure même de nos activités, pour tous, le moins que l’on puisse faire serait de continuer à respecter la logique sanitaire, à nous protéger mutuellement du virus, et à rester sous la sauvegarde les uns des autres…
Plus que jamais, je réalise combien ces moments de peur sont mêlés de plaisir et de joie. Oubliées les heures de préparation pour être à son meilleur, ne pas briser le fil fragile de l’émotion… Dépassées les faiblesses, le trac, le manque de confiance, pour ne plus songer qu’aux mains posées sur le piano, aux doigtés de guitare, au premier pas sur scène… A l’instant, je suis derrière le rideau, la salle s’éteint, une lumière douce envahit le plateau, et la magie commence. Comme un frisson dans la pénombre… vous êtes là.
Respect… et amitiés,
Yves
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